Le tuyau orange - Pierre.
Note : N’ayant pas d’inspiration en ce moment, j’ai demandé à plusieurs personnes de mon entourage de me donner chacune une phrase, et un groupe nominal. A partir de ça, je vais écrire des histoires dont le titre sera le groupe nominal de chacun. A chaque écrit, je devrais placer la phrase donnée. Le groupe nominal et la phrase pouvant n’avoir aucun lien, l’histoire doit, elle, avoir un sens.
Je continue avec un ami et excellent pianiste, Pierre.
Groupe nominal – Titre : Le tuyau orange.
Phrase : Nous allons au marché.
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J’ouvre les yeux, fixe le plafond, et soupire. Il fait froid dans cette maison. Je mettrais bien le chauffage plus fort mais je ne peux pas me le permettre, je dois économiser un maximum. J’attrape mon téléphone. 10H03. C’est l’heure de se réveiller, on a du boulot. Je me tourne et regarde mon fils, qui dort avec moi.
« Salut bonhomme, pas trop fatigué ? »
Evidemment je n’obtiens aucune réponse puisqu’il dort encore. Il est adorable ce gosse, en tant que père on ne peut pas rêver mieux. Il obéit, il rit, il est sensible et en même temps très intelligent. Bordel, qu’est-ce que je serais sans lui ? Je m’en veux de le faire venir avec moi toutes les semaines, il ne devrait pas avoir à voir ça, et à faire ça. Mais d’un côté c’est lui qui veut m’aider, c’est lui qui veut venir. Il a six ans, et il est déjà tellement altruiste, ça me donne envie de pleurer. Jamais je ne pleurerais devant lui, je ne veux pas qu’il voit que je craque. Pourtant la faiblesse c’est humain, et d’un côté j’aimerais qu’il me montre aussi quand ça ne va pas. J’essaye de lui apprendre qu’il a le droit d’aller mal. J’essaye de lui apprendre qu’il a le droit de pleurer. Ce n’est qu’un enfant. Enfin, même en tant qu’adulte, j’espère qu’il saura qu’il a le droit d’aller mal, et de le montrer, et surtout, de se faire aider. Mais moi c’est différent, je suis son père et je ne veux pas qu’il se sente obligé de m’aider, ce n’est pas le rôle d’un enfant. Pourtant, j’ai été éduqué à ne jamais voir mes parents pleurer, ce qui m’a toujours donné l’impression que les adultes étaient forts, tous forts. Et le jour où j’ai vu ma mère pleurer, je l’ai presque ignorée. J’ai totalement dénié ses larmes, parce qu’il y avait cette distance mise depuis ma naissance. Mes parents ne s’étaient jamais autorisés à pleurer devant moi, alors j’ai intégré le fait qu’ils n’étaient jamais faibles. Donc quand ils ont pleuré devant moi, ça m’a presque énervé. Je ne sais pas pourquoi cette réaction de ma part, mais je pense que c’est à cause de cette partie de mon éducation. C’est d’ailleurs bête de ma part d’avoir pensé que ne pas pleurer faisait d’eux des personnes jamais faibles. Pleurer n’est pas synonyme de faiblesse, et c’est ce que je veux faire comprendre à mon fils. Pourtant j’adopte la même attitude que mes parents. Argh, c’est à se mordre les doigts. Peut-être que j’ai intégré qu’un parent ne devait juste pas pleurer devant ses enfants, ce qui m’empêche moi aussi de le faire. Je soupire. Avoir un enfant, c’est tout sauf facile.
Je me lève et me met à califourchon sur lui pour l’embêter :
« Alleeeez ! On se réveille monsieur le dormeur !
- Mais Papaaaaa !
- Je ne t’oblige pas hein, si tu ne veux pas venir tu peux rester ici, tu le sais. »
Je lui caresse le front.
« Non, je veux venir ! »
Ahah, c’est trop facile.
« Alors va t’habiller, et on y va.
- Je peux prendre un bout de pain avant ?
- Oui, vas-y. »
Il se lève et cours chercher son bout de pain. Je soupire, encore. Puis je me lève et vais m’habiller. Une fois habillé, je rejoins Samuel dans la cuisine.
« On y va ?
Oui ! »
Je prends les clés, mon téléphone, et je rejoins mon fils sur le palier. Je ferme à clé et je prends Sam par la main. Aujourd’hui, c’est samedi. Nous allons au marché. Sur la route, tout le monde va dans le même sens que nous, ce qui signifie que le marché n’est pas encore fini. C’est d’ailleurs la première chose que Sam me fait remarquer en arrivant sur place.
« Mais Papa, c’est pas encore fini …
- C’est pas grave, on peut attendre un peu. Il n’y a plus grand monde, je pense que c’est bientôt fini. En attendant on peut aller marcher dans les bois. Ça te dit ?
- Ouais comme ça on va revoir Bambi ! »
Une heure plus tard, en revenant de notre marche, on voit les derniers camions partir. Alors Samuel me lâche la main et court sur la place. Il ne tient pas en place ce gosse c’est dingue.
« Ils sont partis ça y est ! On commence par où ? »
Je ne sais pas si ça le rend vraiment heureux de m’aider. Je ne sais pas s’il a conscience de la situation. Je ne sais pas non plus s’il réalise qu’on fait vraiment pitié pour les autres. Mais il n’a pas l’air embêté de le faire, alors j’imagine que ça va. Il commence à ramasser deux trois carottes qui traînent et les met dans un sac. Je fais de même en commençant par l’autre bout de la place. A chaque personne qui passe à côté de nous, je me sens jugé. Je ne devrais pas, je sais que j’y suis pour rien, je fais comme je peux pour nourrir mon fils, quitte à ramasser les légumes perdus sur pendant le marché. Je sais que je suscite de la pitié chez les personnes qui nous regardent. J’entends les gens chuchoter. Ils ne sont pas discrets en même temps. ‘Mon dieu, il amène son fils pour faire le clochard.’ Ou encore ‘Ça craint’. Parfois même ‘Les clochard ne devraient pas exister’. J’ai l’habitude, c’est assez fréquent. Mais c’est pour mon fils que ça ne me plait pas. Je ne veux pas qu’on se souvienne de lui, de son visage, comme ‘le fils du pauvre du village’. Au loin, j’entends deux femmes discuter :
« Qu’est-ce qu’ils font ?
- Chut, moins fort ! Ils ramassent les légumes qui sont tombés par terre pendant le marché.
- Oh, pauvre homme, c’est horrible. Il est pauvre ?
- Oui malheureusement. Il est veuf. Le décès de sa femme lui a énormément coûté.
- Oh, pauvre homme, et pauvre enfant. »
Je serre les poings et tente de faire abstraction de la conversation. Elles ne se rendent pas compte qu’elles parlent super fort, c’est extrêmement gênant. Alors je me retourne et les fixes. Elles se taisent, me sourient, puis s’en vont. Argh, je déteste ça, les commérages à deux balles.
« Papa ! Papa ! »
Je me tourne vers Sam. Il me fait signe de venir. Je le rejoins, et lorsque je lui demande ce qu’il se passe, il pointe du doigt un tuyau orange. Je ne comprends pas.
« Il a bougé !
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Les tuyaux ne sont pas vivants.
- Mais je te jure qu’il a bougé ! »
Il se cache derrière mes jambes. J’essaye de le rassurer en lui disant que c’est son imagination. C’est vrai quoi, les enfants débordent toujours d’imagination. Mais il insiste, et m’assure qu’il a bougé. Alors je m’accroupie devant le tuyau. Peut-être qu’il y a une bête dedans. J’avoue que j’aime pas trop les rats et les souris, donc j’espère que c’est pas ça. J’attrape le tuyau orange et jette un œil dedans.
« Oh mon dieu ! »
Sam me regarde les yeux grands ouverts.
« Alors c’est quoi ? C’est quoi ? »
Je passe ma main sous le tuyau et le secoue pour que l’animal coincé dedans tombe dans ma main. Il est tout froid. Je me demande s’il est vivant.
« Papa regarde c’est un bébé !
- Oui mais je ne sais pas s’il est en vie.
- On ne peut pas le laisser mourir. C’est quoi ?
- Eh bien, je crois que c’est un chien. »
Sam se met à courir autour de moi en levant les bras. Il crie :
« Nooon ! On peut pas le laisser mourir, vite Papa faut l’amener chez le docteur ! »
J’aimerais vraiment l’amener chez le véto pour le soigner, le réanimer, mais j’ai pas d’argent bordel. La seule solution c’est de l’amener à la maison, pour qu’il se réchauffe.
« Sam écoute moi, tu vas prendre ton panier, et on va courir à la maison pour lui sauver la vie d’accord ? »
Et sans même répondre, il s’exécute. On court à la maison, et heureusement qu’on habite à côté. Une fois devant la porte, je pose l’animal dans les mains de Sam, et je fouille mes poches à tout vitesse. J’en sors les clés et je déverrouille la porte. Je pose toutes nos trouvailles sur la table et court prendre le chiot. Je m’assoie devant le radiateur, je le pose par terre, juste devant la source de chaleur. J’attends un peu.
« Il bouge plus. Il est mort, hein Papa tu peux le dire tu sais ?
- Attends, on va essayer autre chose. »
Je commence à lui masser le torse. Je ne sais pas si un chien nouveau-né est fragile, mais dans le doute, j’évite d’appuyer trop fort. Allez, tu peux le faire mon grand, réveille-toi. Courage. Je continue de masser une bonne minute, avant de l’entendre couiner.
« Yes !
- Oui Papa t’es trop fort ! On lui a sauvé la vie ! »
Je le prends dans mes bras. Il est tout froid. Ça va le réchauffer.
« Je peux le tenir ?
- Oui, tiens. Voilà, comme ça. »
Sam sourit. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas vu ébahit comme ça. Et de le voir comme ça, ça me rend heureux moi aussi. Je crois qu’on va le garder, un peu de compagnie ça nous fera beaucoup de bien. Ce chien grandira avec nous, et il comblera le vide de la maison qui s’est installé depuis le décès de Laurence.
« On peut le garder ?
- Oui.
- Vraiment ? Même si on n’a pas de sous ?
- Ahah, oui, je te promets qu’on le gardera peu importe la situation.
- Woah, trop bien ! »
Il se met à pleurer. Je le prends dans mes bras en essayant de comprendre pourquoi un tel changement d’émotion.
« C’est juste que je suis très content.
- Je comprends. Tu veux l’appeler comment ?
- Laurence. »
Mon cœur se serre. Il vient de me mettre une grosse claque. C’est tellement horrible. C’est le genre de réplique qu’on verrait dans un film. Sauf que c’est bien réel. Je reste bloqué là, sans répondre. Qu’est-ce que je dois répondre à ce genre de chose ?
« Ecoutes, je ne crois pas que je sois une bonne idée, tu sais, je ne sais pas comment expliquer, mais …
- Oui je sais. Comme il est orange et qu’on l’a trouvé dans un tuyau orange, on n’a qu'à l’appeler Orange ?
- Va pour Orange, j’adore ahah. »
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16 ans plus tard
Mon réveil sonne. Raaagh, quel mal de dos, c’est horrible. Je m’assois sur le lit. On est le 7 Janvier. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’Orange. Je me lève et vais ouvrir la porte pour qu’il rentre dans ma chambre. C’est notre routine du matin. Sauf que ce matin, c’est différent. En ouvrant la porte, il n’est pas là.
« Orange ? »
Je vis seul, donc à part lui, personne ne peut répondre. Je vais alors dans le salon, et j’aperçois Orange, allongé sur le tapis.
« Bah alors mon gros, pourquoi tu ne viens pas me voir ? »
Il ne bouge pas. Non, pitié, pas ça.
« Orange ? »
Rien. Je sais qu’il est vieux. Il a 16 ans en années humaines aujourd’hui. Mais quand même, il ne va pas me lâcher le jour de son anniversaire, il n’a pas le droit. Je cours donc vers lui, et je pose mon oreille sur son torse. Je ne suis pas vétérinaire, mais je sais que quand un cœur ne bat plus, c’est la merde.
« Ok, bouge pas, tiens le coup, je t’emmène chez le véto. »
Je me sens bête de lui parler alors qu’il est totalement inconscient et qu’il ne m’entend pas. Surtout pour lui dire de ne pas bouger, comment pourrait-il faire autrement ? Je m’empresse de le porter jusqu’à la voiture, et, dans ma précipitation, je réalise que j’ai oublié de fermer la porte à clé. Tant pis, je fonce. Le véto le plus proche est à 5 minutes en voiture, ça peut le faire.
C’est ironique, ça me fait penser à ce fameux jour, il y a 16 ans, ou on l’a trouvé dans ce tuyau avec mon père. Orange, c’est vraiment le pire des noms, j’ai vraiment fait le plus logique. Enfin bon, c’est pardonnable, j’avais 6 ans. Maintenant j’en ai 22. Ce chien, il est tout ce que j’ai. C’est la seule chose qui me relie à mon père. Si Orange, meurt, alors mon père mourra aussi avec lui. Je sais qu’il est déjà mort depuis quelques années maintenant, mais je l’ai toujours vu vivre à travers Orange. Après tout, c’est un cadeau de sa part. On avait beau être pauvres, il arrivait quand même à me faire le plus beau des cadeaux. Autant ma mère, je n’ai pas beaucoup de souvenirs avec elle, autant mon père, il est le seul parent avec lequel je me suis réellement construit. J’ai besoin de lui, j’ai besoin d’Orange. C’est sûrement idiot de ma part de le faire vivre à travers Orange, ce chien n’y est pour rien, mais il me rappelle mon père.
« C’est rien mon chien, courage. Tout va bien. Papa t’a sauvé il y a 16 ans, je peux le faire aujourd’hui. »
En arrivant à la clinique, je me gare n’importe comment et je sors du véhicule en vitesse. Je prends Orange dans mes bras et cours dans le hall de la clinique.
« Qu’est-ce qu’il est lourd ! »
Essoufflé, de crie et demande de l’aide. Aussitôt, quelqu’un court me voir, et je n’ai même pas besoin de m’expliquer que la dame prend Orange et cours dans une salle. Ne sachant pas quoi faire, je la suis.
« Il va s’en sortir ?
- Je ne sais pas. Je vais tenter de le réanimer. »
Sans vraiment réaliser, je la regarde faire toutes ses manœuvres, et je prie pour qu’elle réussisse. Je suis là, debout au milieu de la salle, à attendre une réaction d’Orange. Mais au bout de 5 minutes, il ne s’est toujours pas réveillé. Plus ça va, plus je stresse, parce que je sais que plus le temps passe, moins on a de chance de le revoir. La véto s’immobilise, ne sachant plus quoi faire.
« Quoi ?
- Je peux tenter un dernier truc, si ça ne marche pas, je ne pourrais plus rien faire.
- Allez-y. »
Je la regarde faire. Elle lui fait un massage cardiaque. Je la regarde compresser le torse d’Orange, une fois, deux fois, trois fois. Rien. Elle recommence, une fois, deux fois, trois fois. RIEN. Elle recommence, une fois, deux fois, trois fois. Elle me regarde.
« Je suis désolée. »
Pour Pierre.
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