La chaussette étranglante – Quentin.

Note : N’ayant pas d’inspiration en ce moment, j’ai demandé à plusieurs personnes de mon entourage de me donner chacune une phrase, et un groupe nominal. A partir de ça, je vais écrire des histoires dont le titre sera le groupe nominal de chacun. A chaque écrit, je devrais placer la phrase donnée. Le groupe nominal et la phrase pouvant n’avoir aucun lien, l’histoire doit, elle, avoir un sens.

Je continue avec mon frère, Quentin.


Groupe nominal – Titre : La chaussette étranglante.

Phrase : Bonjour, je m’appelle Quentin.

 

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« Quentin ?

- Ouais ?

- T’as deux minutes ?

- J’arrive. »

 

Je pose les jeux de société sur une étagère et vais rejoindre le boss dans son bureau. Je ferme la porte derrière moi et attend qu’il me dise quelque chose.

 

« Maude, la maitresse des CP, va être en retard ce matin. Tu peux occuper les enfants en attendant ?

- Mais … Je les occupe comment ?

- Justement ! Tu es nouveau ici, il faut faire tes preuves.

- Bon d’accord. Je vais essayer.

- Allez, bon courage. A tout à l’heure ! »

 

Je sors de la pièce et referme la porte. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur faire faire ? Surtout que les enfants ont une capacité d’attention réduite, il me faut quelque chose qui se renouvelle, sinon ils s’ennuieront. Un jeu ? Non, je ne peux pas intéresser une classe entière avec un jeu. Si je les faisais dessiner sur le tableau ? Non plus. Il n’y a pas assez de place et de craies pour tout le monde. Et puis, tout le monde n’aime pas dessiner. Ou alors, je pourrais faire à chacun ce qu’il veut ? Non … Ce serait très vite le bordel. Je n’ai pas le temps de penser à une autre manière de les occuper que j’arrive devant la porte. Le dessin scotché sur la porte attire mon attention. Il s’agit d’une sorte de girafe avec des pattes d’oiseau. Au-dessus de celle-ci, on peut lire : ‘Bienvenu dans la classe des CP.’ C’est trop mignon ! Puis, je lève le regard et observe à travers le hublot. Tous les enfants sont attroupés autour d’une table. Je décide alors d’entrer dans la classe.

 

« Bonjour, je m’appelle Quentin. »

 

Tous se sont rassis à leur place. Ils me dévisagent sans parler. Je reste quelques secondes à les observer avant de refermer la porte derrière moi. Je regarde la table autour de laquelle ils étaient tous attroupés. Il y a une boite avec des feuilles et des branchages à l’intérieur. Je m’approche du petit à qui la boite appartient.

 

« Hey ! Comment tu t’appelles ?

- Julien.

- Qu’est-ce qu’il y a dans la boite ? C’est un phasme ? »

 

Il hoche la tête, tout le monde nous regarde.

 

« Tu permets ? »

 

J’ouvre la boite et en sors le phasme. J’entends alors les enfants chochoter et s’exclamer. La petite bête est posée sur ma main, et je sens que j’ai toute l’attention sur moi. Je lève la main et en l’air, tous les regards sont posés sur le phasme. Je leur demande :

 

« Qui sait ce que c’est ? »

 

Personne ne bouge, puis un des enfants lève la main. Je lui fais signe de la main.

 

« Moi ce week-end avec ma maman on en a vu et elle m’a dit que c’était un phasme !

- Oui ! C’est exactement ça ! Moi quand j’étais petit je croyais que les phasmes habitaient dans les arbres car c’était des branches, et que quand ces branches se cassaient, elles tombaient et devenaient des phasmes. »

 

La majorité des élèves commence alors à pouffer de rire, les mains devant la bouche. Leur attention commence alors à se dissiper et chacun commence à discuter avec son voisin. Je reviens alors vers Julien, et remet le phasme dans sa boite pleine de branchages et de feuilles. Pauvre petite bête, elle doit se sentir oppressée là-dedans. L’espace est restreint, et les enfants sont accaparés autour d’elle. D’un autre côté, c’est bien de pouvoir attiser la curiosité des enfants avec ces insectes, ça leur permet d’apprendre et d’échanger, ça ne peut être qu’enrichissant. Je crois que c’est comme ça que j’ai moi-même le plus appris : Par l’intermédiaire des autres et de l’environnement. Ça me donne une idée, je vais essayer de les stimuler. Je frappe dans les mains pour essayer de récupérer l’attention.

 

« Tout le monde peut répondre à ma question, il vous suffit juste de lever la main. Qu’est-ce que vous avez appris en dehors de l’école récemment ? »

 

Les enfants se regardent entre eux, aucun ne sait me répondre. Pour les aider à comprendre ma question, je leur donne un exemple à partir de ma propre expérience : J’ai récemment appris que le mot « alphabet » faisait en fait référence à « alpha » et « beta », les deux premières lettres de l’alphabet grec. Je finis en ajoutant :

 

« Ça peut être quelque chose que vous avez appris grâce à vos parents, à vos amis, ou même tout seul. »

 

Alors une fille lève la main. Je l’interroge.

 

« Moi hier j’ai appris que les cornichons c’était des bébé concombres. »

 

Je fronce les sourcils. Je ne comprends pas ce qu’elle me dit, alors je lui demande de m’expliquer. Elle me raconte que lorsqu’on plante des concombres, si on les ramasse petits, alors ce sont des cornichons. Si on les laisse pousser, alors ils deviennent des concombres. Cela viendrait donc de la même variété. Elle m’explique aussi que c’est pour ça que tout le monde n’aime pas les cornichons du MacDo. En réalité ce ne sont ni des cornichons, ni des concombres. C’est un entre deux. Ils les ramassent après le stade de cornichon, et avant le stade de concombre.

 

« Eh bien tu vois, tu viens de m’apprendre quelque chose ! »

 

Ça la fait sourire et elle devient toute rouge.

 

« Qui d’autre a appris quelque chose récemment ? »

 

D’un coup, une bonne dizaine de mains se lèvent. Ahah, c’est trop chou. Je les interroge un par un.

 

« Moi ma sœur elle m’a dit que les bébés ça pousse pas dans les choux.

- Moi m’a maman m’a dit qu’on faisait les bébés en avalant une graine.

- Et moi c’est Théo qui m’a dit que c’est les cigognes qui les apportent !

- N’importe quoi je n’ai jamais dit ça ! »

 

La classe, qui jusqu’ici était calme, devient alors un amas de paroles, se transformant en brouahah général. Bon, c’était à prévoir, tout le monde croit à sa source, elle-même étant généralement un membre de la famille. Les enfants ont besoin de cette autorité à laquelle ils peuvent faire aveuglément confiance. Je tente de les calmer :

 

« Hep, les enfants on se calme ! »

 

Toutes les voix se taisent, et tous les regards se retournent vers moi. Je commence à prendre l’habitude, et je me sens de moins en moins gêné par tous ces regards. Je trouve que les regards d’enfants sont les pires qui puissent exister. Ils vous jugent et vous décortiquent, et ce, sans la moindre gêne, parce qu’ils ont besoin de ça pour comprendre comment le monde fonctionne. Alors que je réfléchis à ce que je vais dire, un de mes vieux cours de psycho me revient en tête : Le modèle de l’adulte pour l’enfant. Les enfants copient les adultes, consciemment ou non. Ils ont besoin d’un modèle auquel se référer pour avancer. Ils font ce qu’ils voient. Je prends alors la parole :

 

« Vous savez, vous êtes sûrement entrain de répéter ce que vous ont dit vos parents, et c’est normal que vous soyez d’accord avec eux. Mais vous savez, les adultes n’ont pas toujours raison, et ils ne savent pas tout. Parfois même ils font exprès de vous mentir pour ne pas vous blesser, ou pour obtenir quelque de vous. »

 

Certains enfants échangent des regards. Les autres me regardent, tous se taisent. Je continue.

 

« Par exemple … »

 

Je commence à défaire mes chaussures, et je mets mes chaussettes sur mes mains pour ponctuer mon récit. Je leur raconte que lorsque j’étais petit, un soir mon père est venu dans ma chambre pour me dire de me coucher. J’ai donc arrêté l’activité que je faisais et je suis tout de suite allé me coucher, avec mes chaussettes aux pieds. C’est alors que mon père, voyant que je comptais dormir avec mes chaussettes, me raconta l’horrible histoire de la chaussette étranglante. Quelques élèves étouffent des rires dans la classe. Pour captiver encore plus leur attention, je me mets debout sur la chaise de la maitresse. Les enfants mettent leurs mains devant leur bouches, à la fois étonnés et amusés par mon comportement.

 

« Ce soir-là, mon père m’a raconté que si je dormais avec mes chaussettes aux pieds, elles pouvaient étrangler mes pieds et les faire devenir tout violets ! »

 

Toute la classe éclate de rire. Je rêve où ils se moquent de moi ? Quand je vous dis que les enfants sont cruels !

 

« Hey mais faut pas se moquer comme ça voyons ! J’y ai cru toute mon enfance ! »

 

J’entends, sous cette cascade de rires, quelques enfants dire que je suis trop bête de croire à ça. Ahah, ils sont trop chou. Toujours debout sur la chaise de la maitresse, pieds nus, et les chaussettes aux mains, je rends mon discours plus sérieux :

 

« C’est pour ça qu’il ne faut pas toujours croire les adultes et qu’il faut réfléchir par soi-même. Je ne dis pas qu’il faut remettre en question tout ce qu’on vous dit, mais quand vous n’êtes pas d’accord avec quelqu’un, il faut savoir le dire poliment. »

 

Les enfants m’applaudissent et, du haut de ma chaise, je les saluts. Un enfant me dit bravo et un autre me dit que je suis le meilleur. Venant d’enfants, ça me fait me sentir fier. En guise de bouquet final, une élève dit à un autre qu’elle n’est pas d’accord avec lui mais qu’elle le respecte. Je crois que c’est pour ça que je veux travailler auprès d’enfants. C’est tellement touchant. Pris dans l’émotion, je ne remarque pas que la maitresse, Maude, ouvre la porte. C’est en voyant le regard des enfants attiré vers la porte que je me retourne et aperçois Maude. Debout sur sa chaise et les chaussettes aux mains, je réalise la situation et je deviens tout rouge.

 

« Heu … Ce n’est pas ce que vous croyez. »

 

Je me rechausse en vitesse sous les rires des enfants, puis je sors de la salle. En sortant, j’ai le temps d’entendre Julien dire à Maude :

 

« Je ne suis pas d’accord que tu arrives en retard maitresse, mais je te respecte. »

 

Je lâche un sourire dans le couloir. Les enfants et leur innocence, c’est adorable !


Pour Quentin.

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