Mon père - Guillaume

 

Mon père - Guillaume

Note : N’ayant pas d’inspiration en ce moment, j’ai demandé à plusieurs personnes de mon entourage de me donner chacune une phrase, et un groupe nominal. A partir de ça, je vais écrire des histoires dont le titre sera le groupe nominal de chacun. A chaque écrit, je devrais placer la phrase donnée. Le groupe nominal et la phrase pouvant n’avoir aucun lien, l’histoire doit, elle, avoir un sens.

 

Je continu avec ma copine garçon, Guillaume.

 

Groupe nominal – Titre : Mon père.

Phrase : Les escargots se recroquevillent lorsque la pluie déferle sur les vitres de mon salon.

 

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Je n’aime pas les jours de pluie. Pas du tout. Non pas que je ne supporte pas d’être mouillé, ou que je crains de tomber malade. Ce n’est pas non plus parce que je ne peux pas sortir me promener ou que je n’ai pas de parapluie. Non vraiment, rien à voir. Même chez moi, les jours de pluie sont ceux que je déteste le plus. Ils me rappellent ces jours brisés, ces jours de douleurs, ces jours de deuil, ces jours enfermés, ces jours craints, ces jours paralysés dans l’attente, dans l’anticipation de la tempête. Mon corps frissonne et se crispe aussitôt que ces souvenirs, même sans image, à peine élaborés, tout juste pensés, viennent à moi. Quand j’étais petit, durant les beaux jours, nous sortions en famille, moi et mes parents, pour aller à la plage, aux musées, aux parcs ou encore en forêt. Nous sortions souvent, comme si ces moments étaient tous à prendre, afin de ne pas laisser de miette avant la tempête. Nous ne nous ennuyions jamais.

Lorsque le temps se grisait, et que sortir devenait impossible sous peine de le subir, mon père avait l’habitude de s’ennuyer, et, lorsqu’il s’ennuyait, il buvait. Boire pourquoi ? Pour passer le temps sûrement, pour ne pas avoir à penser aux nombreuses failles qui le poursuivaient, pour ne pas laisser son inactivité le plonger dans ses démons, pour ne pas couler, pour ne pas avoir à s’occuper de la maison, de ma mère, de moi-même, qui sait ? J’ai eu beau retourner encore et encore la question de la raison à son alcoolisme, je n’ai jamais obtenu de réponse me permettant d’apaiser les années de souffrance.

 

Le temps, gris, était synonyme d’ivresse, et constamment, je sentais la peur monter en moi. Que va-t-il se passer cette fois-ci ? Lorsqu’il sera ivre, de quelle façon m’atteindrait-il ? Verbalement, physiquement, j’en venais presque à espérer pour l’un ou pour l’autre en fonction des jours. S’en prendrait-il uniquement à moi, ou à ma mère aussi ? Lorsque qu’il avait assez larvé sur son fauteuil et qu’il se levait, je savais que le moment était venu, et alors je m’y préparais, essayant de sortir de mon corps, de partir dans ma tête, quelque pas où il n’existe plus. Je devenais son jouet, sans aucune possibilité de riposter, sans aucune envie de riposter, sans même le penser une seule fois, ça aurait été perdu d’avance.

J’avais déjà essayé les premières fois, lorsqu’à mes 6 ans il me porta le premier coup. J’avais essayé de riposter, autant en paroles qu’en gestes. J’avais reçu le double en retour, et m’était très vite ravisé. Ma plus grande douleur n’était même pas le retour de flamme, c’était ma mère qui, par d’innombrables processus psychologiques, retombait dans ses griffes en prenant sa défense. Tu comprends, il n’est pas bien papa quand il te voit le frapper, tu ne devrais pas faire ça, c’est ton père ! A chaque fois que je me relevais, que je tentais de faire basculer la violence, je recevais le double de ce que j’avais habituellement. Alors avec le temps j’ai abandonné. Peut-être que c’était ma faute, je n’étais pas assez divertissant les jours de pluie ?

Avec le temps, je me suis juste laissé faire sans jamais me relever. Combien de fois ai-je atterri à l’hôpital pour une chute dans les escaliers ? Je ne compte même plus. Et, en même temps que se développait ma fascination pour les insectes, je me murais dans le silence. Ces petites bêtes, qui malgré leur taille peuvent abattre des animaux cent fois plus grands qu’eux ! Je rêvais d’en faire partie. Je rêvais de pouvoir me défendre face au monstre qui se dressait devant moi les jours de tempête. Personne ne me comprenait. Allongé sur le sol, en sang, je constatais les escargots devant la baie vitrée. Et comme les escargots qui se recroquevillaient lorsque la pluie déferlait sur les vitres de mon salon, je me recroquevillais lorsque la tempête me tombait dessus.

Un jour, ils avaient annoncé une grosse tempête sur toute la France. J’avais anticipé cette journée en me préparant psychologiquement une semaine à l’avance. J’avais préparé mon corps en mettant de la crème, et préparé la journée en prenant soin de cacher toutes les bouteilles d’alcool. Ce jour-là, la météo faisait rage, comme prévu, et ma tempête, après avoir vidé les bouteilles qu’elle avait caché dans sa chambre, était venue me voir dans mon lit. Cette tempête était la pire de toute. Les extérieurs des maisons partaient en vrille pendant que l’intérieur de ma maison partait en vrille. Les coups de poings, les coups de pieds, les cheveux arrachés, les bains bouillants, les apnées forcées, et j’en passe. Lorsqu’il retourna dans la cuisine, je croyais mon malheur passé, et j’entendis ma mère hurler à mon père :

« Non ! Ressaisis-toi ne fais pas ça !

- Je m’en fou de ce que tu me dis. Ce gosse, je vais le tuer ! »

Je n’ai eu le temps d’apercevoir que quelques secondes le couteau de mon père se lever au-dessus de moi, d’inspirer un grand coup en attendant grandement le moment où je ne sentirais plus rien, presque impatient. Après quelques secondes de silence, et lorsque j’ai rouvert mes yeux, j’ai vu sur le sol le corps sans vie et gisant de ma mère qui s’était interposée.

Ce fût le pire et le meilleur jour de ma vie. Essentiellement le pire parce que ma mère était morte, et le meilleur parce qu’il fût arrêté, stoppant net toutes les violences que je subissais.

« Papa ! Pourquoi tu regardes la pluie comme ça ? »

Ce poids plume me sautant dessus me ramena à la réalité. Je détournai mon regard de la baie vitrée pour répondre à sa question :

« J’ai vu des escargots dans le jardin, ça te dit d’aller les abriter et les nourrir ? »

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